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ABBE : Supérieur d'un Monastere de Religieux, érigé en Abbaye ou Prélature.
Le nom d'Abbé tire son origine du mot Hébreu, qui signifie pere ; d'où les Chaldéens & les Syriens ont formé abba : de là les Grecs abbas, que les Latins ont retenu. D'abbas vient en François le nom d'Abbé, &c. S. Marc & S. Paul, dans leur Texte grec, se servent du Syriaque abba, parce que c'étoit un mot communément connu dans les Synagogues & dans les premieres assemblées des Chrétiens. Ils y ajoûtent en forme d'interprétation, le nom de pere abba, , abba pere, comme s'ils disoient, abba, c'est-à-dire, pere. Mais ce nom ab & abba, qui d'abord étoit un terme de tendresse & d'affection en Hébreu & en Chaldéen, devint ensuite un titre de dignité & d'honneur. Les Docteurs Juifs l'affectoient ; & un de leurs plus anciens Livres, qui contient les Apophthegmes, ou sentences de plusieurs d'entre eux, est intitulé Pirke abbot, ou avot ; c'est-à-dire, Chapitre des Peres. C'est par allusion à cette affectation que J. C. défendit à ses Disciples d'appeller pere aucun homme sur la terre : & S. Jerôme applique cette défense aux Supérieurs des Monasteres de son tems, qui prenoient le titre d'Abbé ou de Pere. |
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Les moines Refectoriers d'aprés Elliot Collection CPA LPM |
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Le nom d'Abbé par conséquent paroît aussi ancien que l'Institution des Moines eux-mêmes
Les Directeurs des premiers Monasteres prenoient indifféremment les titres d'Abbés ou d'Archimandrites.
Ces Abbés & leurs Monasteres, suivant la disposition du Concile de Chalcédoine, étoient soûmis aux Evêques, tant en Orient qu'en Occident. A l'égard de l'Orient, le quatrieme Canon de ce Concile en fait une loi ; & en Occident, le 21e Canon du premier Concile d'Orléans, le 19 du Concile d'Epaune, le 22 du II. Concile d'Orléans, & les Capitulaires de Charlemagne, en avoient reglé l'usage, surtout en France. Depuis ce tems-là quelques Abbés ont obtenu des exemptions des Ordinaires pour eux & pour leurs Abbayes, comme les Monasteres de Lérins, d'Agaune, & de Luxeuil. Ce privilége leur étoit accordé du consentement des Evêques, à la priere des Rois & des Fondateurs. Les Abbes néanmoins étoient bénis par les Evêques, & ont eu souvent séance dans les Conciles après eux : quelques-uns ont obtenu la permission de porter la Crosse & la Mitre ; d'autres de donner la Tonsure & les Ordres mineurs. Innocent VIII. a même accordé à l'Abbé de Cîteaux le pouvoir d'ordonner des Diacres & des Soûdiacres, & de faire diverses Bénédictions, comme celles des Abbesses, des Autels, & des Vases sacrés.
Mais le gouvernement des Abbés a été différent, selon les différentes especes de Religieux. Parmi les anciens Moines d'Egypte, quelque grande que fût l'autorité des Abbés, leur premiere supériorité étoit celle du bon exemple & des vertus : ni eux ni leurs inférieurs n'étoient Prêtres, & ils étoient parfaitement soûmis aux Evêques. En Occident, suivant la Regle de Saint Benoît, chaque Monastere étoit gouverné par un Abbé, qui étoit le Directeur de tous ses Moines pour le spirituel & pour la conduite intérieure. Il disposoit aussi de tout le temporel, mais comme un bon pere de famille ; les Moines le choisissoient d'entre eux, & l'Evêque diocésain l'ordonnoit Abbé par une Bénédiction solemnelle : cérémonie formée à l'imitation de la Consécration des Evêques. Les Abbés étoient souvent ordonnés Prêtres, mais non pas toûjours. L'Abbé assembloit les Moines pour leur demander leur avis dans toutes les rencontres importantes, mais il étoit le maître de la décision ; il pouvoit établir un Prevôt pour le soulager dans le gouvernement ; & si la Communauté étoit nombreuse, il mettoit des Doyens pour avoir soin chacun de dix Religieux, comme le marque le mot Decanus. Au reste, l'Abbé vivoit comme un autre Moine, excepté qu'il étoit chargé de tout le soin de la Maison, & qu'il avoit sa Mense, c'est-à-dire, sa table à part pour y recevoir les hôtes ; ce devoir ayant été un des principaux motifs de la fondation des Abbayes.
Ils étoient réellement distingués du Clergé, quoique souvent confondus avec les Ecclésiastiques, à cause de leur degré au-dessus des Laïques. |
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S. Jerôme écrivant à Héliodore, dit expressement : alia Monachorum est causa, alia Clericorum.
Dans ces premiers tems, les Abbés étoient soûmis aux Evêques & aux Pasteurs ordinaires. Leurs Monasteres étant éloignés des Villes, & bâtis dans les solitudes les plus reculées, ils n'avoient aucune part dans les affaires ecclésiastiques, ils alloient les Dimanches aux Eglises Paroissiales avec le reste du peuple ; ou s'ils étoient trop éloignés, on leur envoyoit un Prêtre pour leur administrer les Sacremens : enfin on leur permit d'avoir des Prêtres de leur propre corps. L'Abbé lui-même, ou l'Archimandrite, étoit ordinairement Prêtre : mais ses fonctions ne s'étendoient qu'à l'assistance spirituelle de son Monastere, & il demeuroit toûjours soûmis à son Evêque.
Comme il y avoit parmi les Abbés plusieurs Personnes savantes, ils s'opposerent vigoureusement aux hérésies qui s'éleverent de leur tems ; ce qui donna occasion aux Evêques de les appeller de leurs deserts, & de les établir d'abord aux environs des Faubourgs des Villes, & ensuite dans les Villes mêmes. |
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C'est de ce tems que l'on doit dater l'époque de leur relâchement. Ainsi les Abbés étant bientôt déchus de leur premiere simplicité, ils commencerent à être regardés comme une espece de petits Prélats. Ensuite, ils affecterent l'indépendance de leurs Evêques, & devinrent si insupportables, que l'on fit contre eux des lois fort séveres au Concile de Chalcédoine & autres, dont on a parlé.
L'Ordre de Cluny, pour établir l'uniformité, ne voulut avoir qu'un seul Abbé. Toutes les Maisons qui en dépendoient, n'eurent que des Prieurs, quelques grandes qu'elles fussent, & cette forme de gouvernement a subsisté jusqu'à présent. Les Fondateurs de Cîteaux crurent que le relâchement de Cluny venoit en partie de l'autorité absolue des Abbés : pour y remédier, ils donnerent des Abbés à tous les nouveaux Monasteres qu'ils fonderent, & voulurent qu'ils s'assemblassent tous les ans en Chapitre général, pour voir s'ils étoient uniformes & fideles à observer la Regle. Ils conserverent une grande autorité à Cîteaux sur ses quatre premieres Filles, & à chacune d'elles sur les Monasteres de sa filiation ; ensorte que l'Abbé d'une mere Eglise présidât à l'élection des Abbés des Filles, & qu'il pût avec le conseil de quelques Abbés, les destituer s'ils le méritoient. |
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![]() Abbaye de Lessay, collection CPA LPM 1960 |
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Les biens des Monasteres étant devenus considérables, exciterent la cupidité des Séculiers pour les envahir. Dès le V. siecle en Italie & en France, les Rois s'en emparerent, ou en gratifierent leurs Officiers & leurs Courtisans. En vain les Papes & les Evêques s'y opposerent-ils. Cette licence dura jusqu'au regne de Dagobert, qui fut plus favorable à l'Eglise : mais elle recommença sous Charles Martel, pendant le regne duquel les Laïques se mirent en possession d'une partie des biens des Monasteres, & prirent même le titre d'Abbés. Pepin & Charlemagne réformerent une partie de ces abus, mais ne les détruisirent pas entierement, puisque les Princes leurs successeurs donnoient eux-mêmes les revenus des Monasteres à leurs Officiers, à titre de récompense pour leurs services, d'où est venu le nom de Bénéfice, & peut-être l'ancien mot, Beneficium propter officium ; quoiqu'on l'entende aujourd'hui dans un sens très-différent, & qui est le seul vrai, savoir des services rendus à l'Eglise. Charles le Chauve fit des lois pour modérer cet usage, qui ne laissa pas de subsister sous ses successeurs. Les Rois Philippe I. & Louis VI. & ensuite les Ducs d'Orléans, sont appellés Abbés du Monastere de S. Aignan d'Orléans. |
![]() Les moines d'aprés Elliot Collection CPA LPM |
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Les Ducs d'Aquitaine prirent le titre d'Abbés de S. Hilaire de Poitiers. Les Comtes d'Anjou, celui d'Abbés de S. Aubin ; & les Comtes de Vermandois, celui d'Abbés de S. Quentin. Cette coûtume cessa pourtant sous les premiers Rois de la troisieme race ; le Clergé s'opposant à ces innovations, & rentrant de tems en tems dans ses droits
Mais quoiqu'on n'abandonnât plus les revenus des Abbayes aux Laïques, il s'introduisit, surtout pendant le schisme d'Occident, une autre coûtume, moins éloignée en général de l'esprit de l'Eglise, mais également contraire au droit des Réguliers. Ce fut de les donner en commende à des Clercs séculiers ; & les Papes eux-mêmes furent les premiers à en accorder, toûjours pour de bonnes intentions, mais qui manquerent souvent d'être remplies. Enfin par le Concordat entre Léon X. & François I. la nomination des Abbayes en France fut dévolue au Roi, à l'exception d'un très-petit nombre, ensorte que maintenant presque toutes sont en commende.
Les Abbés mitrés sont ceux qui ont le privilége de porter la Mitre, & qui ont en même tems une autorité pleinement épiscopale dans leurs divers territoires. En Angleterre on les appelloit aussi Abbés souverains & Abbés généraux, & ils étoient Lords du Parlement. Selon le Sr Edouard Coke, il y en avoit en Angleterre vingt-sept de cette sorte, sans compter deux Prieurs mitrés. Voyez PRIEUR. Les autres qui n'étoient point mitrés, étoient soûmis à l'Evêque diocésain. Le Pere Hay, Moine Bénédictin, dans son Livre intitulé Astrum inextinctum, soûtient que les Abbés de son Ordre ont non-seulement une Jurisdiction (comme) épiscopale, mais même une Jurisdiction (comme) papale, potestatem quasi episcopalem, imo quasi papalem ; & qu'en cette qualité ils peuvent conférer les Ordres inférieurs de Diacres & de Soûdiacres.
Il y en a quelques-uns qui sont crossés & non mitrés, comme l'Abbé d'une Abbaye de Bénédictins à Bourges ; & d'autres qui sont l'un & l'autre
Parmi les Grecs il y a des Abbés qui prennent même la qualité d'Abbés oecuméniques, ou d'Abbés universels, à l'imitation des Patriarches de Constantinople.
Les Latins n'ont pas été de beaucoup inférieurs aux Grecs à cet égard. L'Abbé de Cluny dans un Concile tenu à Rome, prend le titre d'Abbas Abbatum, Abbé des Abbés : & le Pape Calixte donne au même Abbé le titre d'Abbé Cardinal. (L'Abbé de la Trinité de Vendôme se qualifie aussi Cardinal Abbé.) pour ne rien dire des autres Abbés Cardinaux, ainsi appellés, de ce qu'ils étoient les principaux Abbés des Monasteres, qui dans la suite vinrent à être séparés.
Les Abbés Cardinaux qui sont séculiers, ou qui ne sont point Chefs-d'Ordre, n'ont point de jurisdiction sur les Religieux, ni d'autorité dans l'intérieur des Monasteres.
Quoique le terme de Commende insinue qu'ils ont seulement pour un tems l'administration de leurs Abbayes, ils ne laissent pas d'en jouir toute leur vie, & d'en percevoir toûjours les fruits aussi-bien que les Abbés Réguliers.
Les Bulles leur donnent un plein pouvoir, tam in spiritualibus quam in temporalibus : mais dans la réalité les Abbés Commendataires n'exercent aucune fonction spirituelle envers leurs Moines, & n'ont sur eux aucune Jurisdiction : ainsi cette expression in spiritualibus, n'est que de style dans la Cour de Rome, & n'emporte avec elle rien de réel.
Comme l'Histoire d'Angleterre parle très-peu de ces Abbés Commendataires, il est probable qu'ils n'y furent jamais communs : ce qui a donné lieu à quelques Auteurs de cette Nation de se méprendre, en prenant tous les Abbés pour des Moines. Nous en avons un exemple remarquable dans la dispute touchant l'Inventeur des Lignes, pour transformer les Figures géométriques, appellées par les François les Lignes Robervalliennes. Le Docteur Gregory dans les Transactions philosophiques, année 1694, tourne en ridicule l'Abbé Gallois, Abbé Commendataire de l'Abbaye de S. Martin de Cores ; & le prenant pour Moine : " Le bon Pere, dit-il, s'imagine que nous sommes revenus à ces tems fabuleux, où il étoit permis à un Moine de dire ce qu'il vouloit ".
Cette cérémonie consistoit anciennement à revêtir l'Abbé de l'habit appellé Cuculla, Coule, en lui mettant le Bâton pastoral dans la main, & les souliers, appellés pédales (sandales), à ses piés. Nous apprenons ces particularités de l'Ordre Romain de Théodore, Archevêque de Cantorbéry.
Les Abbés Réguliers ont trois sortes de Puissance : l'Oeconomique, celle d'Ordre, & celle de Jurisdiction. La premiere consiste dans l'administration du temporel du Monastere : la seconde, à ordonner du Service-Divin, recevoir les Religieux à Profession, leur donner la Tonsure, conférer les Bénéfices qui sont à la nomination du Monastere : la troisieme, dans le droit de corriger, d'excommunier, de suspendre. L'Abbé Commendataire n'a que les deux premieres sortes de Puissance. La troisieme est exercée en sa place par le Prieur-claustral, qui est comme son Lieutenant pour la discipline intérieure du Monastere |
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Abbaye de Hambye, collection CPA LPM 1960 |
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